"Mes peintures sont des instantanées d’un monde parallèle"

Ma bio

  • Née en 1971 à Gênes, Italie
  • a étudié à l’Académie des Beaux Arts de Gênes
  • Depuis 2003 vit et travaille à Bar le Duc, Meuse
ivana minafra

Artiste permanente à la Galerie STACKL’R

(Sedan-France)

Artiste permanente à la Galerie Duchoze RTR

(Rouen-France)

Artiste permanente à la Galerie Cecile Dufay

(Paris-France)

Artiste permanente à la 1821 Gallery and Studios

(Fresno-California-USA)

 

text écrit par Cécile Dufay Paris juin 2023

paroles d'Ivana Minafra

propos receuillis par Christian Noorgergen

Enfance, nature et création

Mon père prenait soin des terres et des cultures, et j’ai pu vivre la liberté totale d’aller partout, d’explorer, de me promener, d’aller à l’aventure, et de passer des journées entières en pleine nature, et jusque dans les arbres ! Je vivais à l’extérieur d’un petit village, dans une étrange et problématique maison.  Tout a joué, les paysages de mon enfance, en Ligurie, loin de la mer, jusqu’aux vallées les plus escarpées.  On entendait dans la vallée le son des musiques de fêtes. J’étais là, séparée d’un grand espace, dans la musique. J’ai connu aussi la solitude, parfois douloureuse et cependant positive, carburant secret de mon désir de peindre, en rêveries d’arbres et de ciel…

Malgré de rares fréquentations artistiques, très souvent, je copiais des paysages et je réalisais des portraits. Au fond, j’ai toujours peint et dessiné, autant que je m’en souvienne. Pratique assidue quasiment toujours présente ! J’ai fréquenté un centre social, riche d’activités multiples, où j‘ai montré mes premiers dessins, et même gagné un prix ! J’ai aussi pris quelques cours, très peu, vers 16 ans, chez un particulier. Je me souviens avoir copié un simple drap. Le maître m’avait prêté un livre sur l’art moderne. Ce livre m’a beaucoup apporté. Je l’ai encore !

Terrain préparé pour la suite… Il n’y avait pas d’artistes dans ma famille, mais les livres ont beaucoup compté, il me reste même encore des fascicules d’art de cette époque ! Je les dévorais ! Certains me fascinaient, d’autres me faisaient trembler.

Culture, musique et création

Je suis d’Italie. J’imagine qu’une certaine chaleur en moi, ainsi qu’une vive énergie, viennent de mon pays, plus que des éléments intellectuels ou culturels. Cela dit, la famille, très présente, m’importait, malgré l’envie, parfois d’évasion. Nous habitions loin de Gênes, grande ville d’art, où j’ai pu suivre des cours libres aux Beaux-Arts (dessins de nus), avec mes premiers vrais contacts culturels. Je me souviens avec ironie que certains enseignants m’avaient distillé quelques bâtons dans les roues de mes créations.

L’impact d’une peinture sur la vie des gens m’a toujours frappée, comme si une petite fenêtre s’ouvrait dans ma tête, m’éloignant positivement de ma propre culture solitaire. J’ai toujours aimé les voies de traverse. Pour donner suite à une lecture marquante, je jouais avec les parties droite et gauche de mon cerveau. Craignant manquer de références, depuis toujours je copiais de tout, y compris des copies de maîtres, copies que je pouvais vendre, et même, parfois bien vendre, autour de mes 20 ans, en 1993.

J’adorais Da Vinci, j’ai pleuré à mon premier regard sur la Joconde. Et Véronèse, mais, à vrai dire, j’aimais à la fois tout et rien. De nos jours, en vrac, j’apprécie Miro, Matisse, Bonnard, génie de la lumière, Mark Rothko, les maîtres de l’abstraction lyrique, et David Hockney. Choix instinctif et très ouvert.

J’évite parfois de trop voir pour ne pas perdre la confiance en soi pour peindre, ou la peur d’être écrasée. Ne pas être envahie. En cuisine, ce ne sont pas les chefs qui m’attirent, mais les ingrédients. En peignant, je trouve mon estuaire pour devenir océan…

Je ne veux pas solliciter en moi le sens du mimétisme. Je ne veux pas être une éponge. Un certain regret, cependant, de n’avoir pas rencontré assez de peintres vivants.

C’est la musique qui m’a sauvée de la finitude du monde. A l’époque, elle comptait alors même plus que la peinture. C’était une manière de rencontrer l’infini, comme l’air et le sang, la beauté et le drame… C’est le vent qui gonfle toutes mes voiles, le territoire dans lequel je veux me perdre. J’y trouve la tension, les contrastes, les superpositions entrecroisées, les secousses, les caresses, et surtout les émotions qui se battent comme des plantes qui cherchent la lumière. J’aimais toutes les musiques anglo-saxonnes, mais Mike Oldfield, musicien mystique ouvrant en moi d’autres dimensions, a été le vrai et premier déclic. La musique classique moderne est venue ensuite, en présences ponctuelles ininterrompues. Mais le silence m’importe aussi.

Mes premières créations sont venues assez tard, vers 1995, à 24 ou 25 ans. Je pense au premier portrait de ma grand-mère. Sévère avec moi-même, avant d’exprimer quelque chose je me devais de connaître, fût-ce en autodidacte. Je ne voulais pas manquer de respect à personne, ni à l’histoire de l’art. Il m’est arrivé de m’écrire à moi-même en tant qu’artiste, pour expliquer qu’il fallait attendre encore un peu avant de tout donner à l’art. Comme si je freinais certaines richesses intérieures, et certains élans.

 

Ville, art et création

Je me suis autorisée à « y aller », avec un mélange de prétention, d’humilité et de sévérité. Première exposition en 1998, juste pour avoir l’avis de ceux qui savent vraiment. J’avais besoin de regards, pour savoir s’il était bon que je poursuive. J’ai été encouragée…

Le choix de deux thèmes s’est imposé : la famille, et la ville, Gênes d’abord. Puis la ville, quelle qu’elle soit, d’ici et d’ailleurs, les villes où vivent les gens. D’abord la rue, la voie, le passage, le mouvement, le voyage dans la ville et par la ville. Nous évoluons et nous changeons tout le temps : l’être humain est un chemin.

Mes racines sont là-haut. La vie est un voyage que les voitures symbolisent. Nous avons une voie à parcourir. J’ai quitté la campagne, la nature et ma liberté à 16 ans. J’avais des choses en moi à guérir, peut-être même la douleur d’avoir quitté ma campagne, d’avoir laissé ma liberté, malgré les plaisirs de la ville. La ville est un mirage. La ville, le béton, a besoin de moi pour être sauvée. Passage lourd de la campagne à l’ivresse de la ville, riche de contrastes et de douleurs. Ville jamais hyperréaliste mais vue à travers un rêve.

Quand je peins, j’exorcise. Ma création est une alchimie. Trouver ma liberté perdue dans la ville ? Sauver le monde ? L’illuminer ? Y planter de l’espoir ? Tout cela ensemble.

Je n’ai pas l’envie de peindre des forêts. La ville est un spectacle mouvant et permanent. C’est plus qu’un spectacle, une expérience de guérison. Je sens ce qui ne va pas. Je ne contemple pas la ville, je la vis, je la ressens et je m’y perds ! C’est l’aventure de se perdre. Je prends et j’avale les fruits amers et empoisonnés, toxiques et dangereux, de la ville, malgré ses charmes. Peignant la ville, je me libère de la ville.

Rêves et couleurs

Depuis mon enfance, les rêves sont encore une vie parallèle. Chaque endroit vécu crée des rêves, avec une véritable cartographie. Chaque endroit de ma vie existe de manière cohérente dans mes rêves.

Art et purification mêlés. Les couleurs, elles, viennent naturellement, et spontanément. D’abord une couleur première et privilégiée, et puis d’autres couleurs sont appelées, comme dans la musique qui porte les paroles. Je suis plutôt spectatrice. La couleur, plutôt récente, naguère esclave du sujet, est maintenant libérée. J’ai besoin d’être portée. Les couleurs doivent danser. Puissances vitales, attirance archaïque. Jouissance de cette chorégraphie, érotique et cosmique. Couleurs en tensions, malgré quelques espaces d’apaisement. Il faut que les contrastes jouent au maximum de leur intensité. Parfois, à la moitié du parcours d’une toile, quand le sujet s’est imposé et que le microcosme n’est pas encore équilibré, je retourne la toile sens dessus-dessous, et je poursuis l’aventure, pour que le sujet ne m’emporte pas et que mon hémisphère droit soit aux manettes. Fascination pour la recherche de nouveaux accords, dans l’éveil des consciences.

La texture compte également, par grattages, avec différents pinceaux, voire la main, par transparences, par jeux de matières, par superpositions nombreuses, harmonisées du dessous pour revitaliser les surfaces. Tout bouge ! Certains aspects cependant, tendent à la monochromie, pour que l’espace vive sa vie, et pour laisser respirer le vide. S’il n’y a pas d’espace, on ne rentre pas dans le tableau.

La marche des œuvres

J’avais un rêve secret de voir mes œuvres en liberté et vues sous ciel … Hors des galeries, et sans être dans le rejet, mais dans la volonté d’être dans le plein-air ouvert de la ville. Voir les œuvres en marchant, être dans une dimension parallèle au réel, en plus fort. Sans la détestation du réel, mais dans son au-delà. Avec la présence de la méditation, très présente dans mon corps, loin de l’automatisme des pensées, dans la cherche de la présence totale, avec la vibration de l’infini touchant le fini. Art à la fois dedans et dehors.
Exposer une fois par an dans une ville serait à la fois un prodigieux jeu d’enfant, et une forme de miracle. Avec en outre une pensée pour ceux qui n’envisagent pas de franchir la porte d’une galerie. L’art vraiment là, libéré, humble et puissant. Créer un enchantement, un monde parallèle magique, décalé. Je peins le rêve d’un émerveillement toujours présent.

Il n’y a pas une réalité, il y a des degrés de réalité !

Cecile Dufay galeriste et commissaire d'exposition

Trois fois rien…Une route, un bâtiment banal, un parking, une famille devant sa porte. La plupart du temps notre regard tombe sur ce qu’on regarde malgré soi, sans jamais l’observer réellement. Ivana Minafra en dévoile la beauté ou à tout le moins, l’incroyable force d’évocation.  Est-ce le parking de notre supermarché dont on se souviendra, ou tel château visité à la hâte ? Doit-on considérer notre vie comme une parenthèse entre quelques bons moments ? Et, dans ce cas, sommes-nous, par notre propre inattention, déréalisés? Non seulement absorbés dans le virtuel, mais encore habitués à nous abstraire, la plupart du temps, de notre corps, notre espace, du monde réel et “vivant”, parce qu’enlaidi, endurci… Ivana Minafra regarde, elle, ce qui l’entoure au quotidien. Ce parking de la plage plus grand que la plage elle-même. L’équilibre très Bauhaus de cette station essence. Ces enfants au bord d’une piscine si irrémédiablement urbaine. Et ses couleurs apportent à ces scènes à peine esquissées la vie embellie des souvenirs. Enfants, nous savions encore nous laisser emporter par nos sensations, sans a priori. Minafra nous exhorte à retrouver cette faculté, sous peine de vivre sans exister. 

 

Alain Bozetti galeriste et historien de l'art

Au-delà d’un incontestable esthétisme, la peinture de Ivana Minafra nous propose une exploration métaphysique et archétypale du rapport de l’humain à son environnement et un questionnement sociétale sur son lien à la vie urbaine. Avec des clins d’œil à ses compatriotes, les géniaux Morandi et surtout Cremonini avec qui elle partage la construction forte et les couleurs puissantes au chromatisme exacerbé. L’œuvre de Ivana promène son pinceau comme la plume de Moravia, Eco ou Calvino dans une figuration narrative ou l’humain à peine esquissé, silhouette fusionnelle à son environnement nous transmet dans sa gestuelle  des intrigues qui nous questionnent sur le rôle du regard, du sujet et de notre condition humaine en général.